Sur le site du diocèse d’Autun (visages-diocese-autun.fr), vous trouverez notamment deux témoignages concernant la pastorale des divorcés-remariés. L’un est de l’abbé Jean-François Arnoux, et l’autre, de l’abbé Pierre Vaillier, tous les deux du diocèse d’Autun. En fin de page, deux livres du père Le Bourgeois sont vivement recommandés. Belle lecture….
Témoignage de l’abbé Arnoux
« Arrivé dans l’institution Eglise, jeune prêtre à Notre-Dame à Montceau-les-Mines, secteur de Mission de France, en août 1949, la pastorale des divorcés était un sujet tabou, réglé une fois pour toutes.
J’étais déjà
sensibilisé à ce sujet, car dans la famille de ma grand-mère paternelle, je
savais qu’il y avait plusieurs couples divorcés remariés. Je ne comprenais pas
pourquoi on ne les fréquentait pas. Mon grand-père, très à cheval sur la
discipline, maman et sa famille très religieuse, stricts sur la morale,
n’acceptaient pas ces situations.
Avec cette question, j’arrivais à Notre-Dame à Montceau-les-Mines. Dès le début
de ma présence, je fis la connaissance d’un membre de l’Harmonie des Houillères
et je me liais d’amitié avec son couple. Malheureusement, cet ami est atteint
brutalement d’un cancer qui lui est fatal. Je savais qu’il était divorcé et
remarié. Nous en avions parlé tout simplement. Ils formaient un couple très uni
depuis des années.
A cette époque, la discipline de l’Eglise exigeait pour qu’il y eût une cérémonie religieuse que l’intéressé, avant sa mort, renonce à l’amour qu’il avait vécu avec son épouse. Pour moi, il n’était pas question de faire mentir quelqu’un par respect à lui-même et face à celle qui l’avait accompagné pendant une grande partie de sa vie et pendant sa maladie. Aussi, en accord avec le père Augros, mon curé, nous nous retrouvons à l’église Notre-Dame, avec son épouse, sa famille et ses amis pour l’accompagner, célébrer sa vie et la présenter au Dieu d’amour et d’accueil. « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ».
Voilà où en était l’Eglise à
cette époque à l’égard des divorcés. Combien j’ai rencontré de gens, de foyers
remariés après un divorce, en état de souffrance morale, en raison de leur
situation de rejet.
Que de conversations, de dialogues pour les libérer et les aider à vivre leur
vie d’amour dans le non jugement du passé et dans la foi en l’Evangile !
Je voudrais citer la situation de ce jeune divorcé qui m’a aussi, parmi
d’autres, beaucoup marqué.
Un enfant était né avant
mariage à la suite d’une rencontre à la sortie d’un bal. A cette époque : « Tu
as fauté, tu répares, tu te maries ! ».
Moi de lui dire : « Mais tu l’aimais cette fille pour accomplir ce geste
d’amour ? » Et lui de me répondre : « Vous êtes jeune et naïf, vous croyez
qu’il faut aimer pour faire l’amour avec une fille ? C’est bien plus simple que
cela et plus vite fait ! ».
Où était la liberté dans
l’engagement de ce jeune ? Cette situation n’était pas un cas d’annulation de
mariage.
Je suis moins naïf depuis longtemps ! Et combien de situations comme celle-ci ?
Voilà où j’en étais, dans une incompréhension totale, une grande révolte
intérieure face à ces situations de rejet, un manque total de dialogue de la
part des autorités de l’Eglise. Dialogue oui, à la base, avec des collègues ou
des couples, partage de souffrance ou d’incompréhension. »
Témoignage de l’abbé Pierre Vaillier.
Un espoir ! Je me rendis à Lyon
à une rencontre sur la pastorale des divorcés. J’étais heureux, enfin on va
pouvoir parler !
Cette rencontre était animée par des évêques catholiques, des pasteurs
protestants et des prêtres orthodoxes.
Chacun explique la position de
son Eglise.
Pour les protestants, il n’y a pas de sacrement de mariage, donc pas de
problème.
Pour les orthodoxes, il y a une solution possible pour un nouveau couple après
échec, mais je crois après des années de probation, demande de pardon, etc.
Pour les catholiques, indissolubilité totale des liens du mariage, refus total
du partage de l’eucharistie après un remariage.
Beaucoup de questions, de dialogues avec les participants, mais pour les évêques,
nulle possibilité de revenir sur la question et de très bonnes raisons
théologiques pour expliquer cette fermeture ; c’est-à-dire aucune cérémonie à
l’église, et aucune possibilité de se nourrir de l’eucharistie. Pour finir,
j’entends encore la parole d’un évêque et je le vois comme si c’était
aujourd’hui : « Mais il reste au foyer divorcé la communion spirituelle ».
J’en étais là, quand j’arrive
en 1972 à Notre-Dame-de-Lumière à Chalon-sur-Saône.
Quel grand courant d’air arrivait chez nous ! Un nouvel évêque dans le diocèse,
le père Le Bourgeois.
Cet évêque avait vécu lui-même, de l’intérieur, la souffrance de tous ces
couples après un échec et un remariage.
Aussi très vite avec nous un dialogue s’est installé, une recherche avec une
grande franchise, une possibilité de parler vrai. La possibilité d’un accueil
de ces couples dans certaines conditions.
Il y avait chez notre évêque et aussi chez nous, la même conviction : dans un
mariage même très bien préparé, célébré avec beaucoup de sérieux et même de foi,
de respect, l’échec est toujours possible et le sera toujours, car nous sommes
des humains.
Un amour qui dure toute la vie
sera toujours, comme le dit si bien un ami (pourquoi ne pas le citer, Pierre
Bezin) un idéal humain, un idéal, il faut bien le reconnaître que tous ne sont
pas capables de vivre, et les événements du monde peuvent contrarier leur
projet ; un idéal humain, en ce sens qu’il est accessible, qu’il est possible
de le vivre ; la preuve, c’est que certains couples réussissent à vivre ensemble
en s’aimant jusqu’au terme de leur vie.
Et moi, j’ajoute que nous ne sommes pas sur terre pour nous faire souffrir et
faire souffrir les autres. N’est-ce pas le cas quand il n’y a plus d’amour dans
un couple, plus de partage, sinon la cohabitation ?
J’ai toujours participé avec des couples à des rencontres de fiancés. Que
d’heures de bonheur j’ai passées avec des jeunes avant la célébration de leur
mariage, où avec eux, leur famille et amis avaient toute leur place !
Donc, suite aux échanges avec
le père Le Bourgeois, il y eut une première célébration qui avait été préparée
avec lui dans mon bureau à Notre-Dame-de-Lumière, en fidélité avec certaines
conditions.
Notre évêque demandait que cette célébration soit faite avant la cérémonie à la
mairie, vu que la loi française interdit de célébrer un mariage sacramentel
avant la cérémonie civile. Il était donc clair, le sacrement n’était pas
célébré.
Les jeunes ne sont pas toujours au clair avec nos termes religieux, je
précisais toujours : il y a une célébration, une prière, une rencontre dans
l’église pour offrir à Dieu votre amour et le célébrer, le faire reconnaître
par votre famille et vos amis, mais il n’y a pas de « mariage à l’église ».
Je n’oublierai jamais cette préparation et cette célébration. A la fin, j’ai
demandé aux jeunes d’écrire au père Le Bourgeois pour le remercier.
Je voudrais dire encore, que
dans la préparation, on cherchait à arriver à ce qu’il n’y ait pas de haine à
l’égard du premier couple et un accueil respectueux des enfants. On peut ne
plus s’aimer d’amour, mais se respecter et se sentir responsable de l’éducation
des enfants avec la maman ou le papa de ces enfants.
Pour ces célébrations, en accord avec le père Le Bourgeois, j’étais très clair,
il était précisé dans l’accueil, qu’il y avait eu un échec chez l’un ou l’autre
des jeunes, non pour culpabiliser l’intéressé, mais au contraire, pour faire la
vérité avec les jeunes, la famille et les amis.
« Qui fait la vérité vient à la
lumière ». Oui, nous sommes en vérité. Ainsi était mis au point, au début de la
célébration, que nous allions célébrer un Dieu d’accueil, qui avait lui aussi
connu, en Jésus Christ, l’échec mais aussi la Résurrection : l’amour plus fort
que la mort.
Pour Dieu, c’est toute la force de l’Evangile, il n’y a jamais d’échec
définitif. (Cf. Ce très beau poème de Paul Eluard, athée – « La nuit n’est
jamais complète… ») Un échec est toujours une souffrance : que va devenir ma
vie ?
Aussi quelle espérance, quelle remise debout, quand l’amour vient dire : debout et repart !
C’est pour moi, l’occasion d’annoncer la résurrection : résurrection qu’ils sont en train de vivre, d’ailleurs eux-mêmes le reconnaissent très bien.
La résurrection n’est pas pour plus tard, mais déjà vécue dans le présent. « La résurrection du Christ ne saurait être située dans le passé, il en va de la résurrection comme de la Création. » (L’Evangile n’est pas neutre de François Biot, Desclée de Brouwer 1974.)
Qui n’a pas fait l’expérience
dans sa vie, ou révélé à d’autres, que dans les moments les plus durs de la
vie, se produit la résurrection grâce à l’amour, à l’amitié de quelqu’un. (cf
le poème d’Adémar de Borros : « Des traces sur le sable »).
Toute ma vie a été marquée par cela et m’a fortifié dans ma foi en la
Résurrection.
Que de moments de foi vécus
avec des couples, soi-disant rejetés ! Quel témoignage auprès des familles et
des amis : un Christ libérateur ! – (cf. Luc 10 – Luc 15 – Jean 4 .. et tout le
reste..)
Cela fut vécu dans une recherche avec plusieurs collègues de Chalon-sur-Saône.
J’assume totalement la responsabilité de mon témoignage.
Maintenant tout est fini pour moi. Il me reste la prière, la lecture, la recherche et la souffrance, car j’ai peur que l’Eglise se replie sur elle-même au lieu d’aller vers ceux qui vivent loin de l’institution.
« Je vous précéderai en Galilée » a dit Jésus ressuscité à ses disciples. J’ai toujours été heureux « en Galilée » près du Seigneur, car près des gens, où lui m’avait précédé.
Pierre Vaillier
P.S. : Je conseille à tous ceux qui ne connaissent pas les livres du père Le Bourgeois, la lecture de « Chrétiens divorcés remariés » Desclée de Brouwer 1990 et « Questions de divorcés à l’Eglise » Desclée de Brouwer 1994