Édito

« La vieillesse est un naufrage », disait De Gaulle. Et comment ne pas s’effrayer, ou à tout le moins s’inquiéter, quand le corps se permet de se rappeler à nous par des craquements, des raideurs, quelques absences, trop de ceci, pas assez de cela… ?

Mais à partir de quand devient-on vieux ?
Est-ce que ça vous tombe dessus un beau matin quand le premier pas hors du lit vous coûte une petite grimace de douleur ?
Est-ce quand on se rend compte qu’on porte un regard désabusé sur les choses et les gens ?
Est-ce quand, face à l’actualité, on se dit « à quoi bon réagir ? »
Est-ce quand on vous suggère que vous seriez bien mieux dans une maison de retraite ?
Sonner la retraite, abandonner la bataille, baisser les bras, devenir prisonnier peut-être…
Est-ce quand on n’a plus envie de rien, que tout glisse, tout passe, tout lasse ?

Et bien si c’est ça, alors, je connais des jeunes qui sont vieux !
Et tout bien considéré, on commence à vieillir dès qu’on a poussé son premier cri, non ?

Une chose est sûre, la vie est là et bien là, dans un corps tout frais comme dans un corps plus chiffonné. Je pense à cette centenaire dont on pourrait dire qu’elle dure alors que, mine de rien, elle vit… pas à cent à l’heure bien sûr mais à son rythme, très lent, très apaisé, presque aérien. Et cette étincelle de vie est bien présente et très visible quand au cours d’une petite promenade accompagnée, elle rencontre ses voisines de chambre et que tout d’un coup, elles se prennent les mains, se les réchauffent mutuellement et se manifestent ainsi un peu d’affection et d’attention. Un toucher léger, peu de mots et les yeux qui s’illuminent : la vie est là, tout timide mais souriante comme une brise légère qui signale une présence. Et cela se respecte… et cela devrait réjouir les cœurs. Mais je pense aussi à celle ou celui qui n’en peut plus de vivre « ainsi » : diminué.e, humilié.e par toutes les pertes subies, souffrant.e dans sa tête et dans son corps, seul.e ou à peu près, avec des souvenirs qui s’effilochent et l’impression que ça n’en finit plus de durer…

Alors quoi ?
Notre foi et notre espérance chrétiennes nous disent que toute vie est utile, non pas au sens pratique du terme, mais parce que sur chacun.e, Dieu pose un regard d’une infinie tendresse.
Cela nous donne une dignité intrinsèque qu’on ne peut nier à personne, pas même à celles et ceux dont la vie nous semble devenue « inutile ». Cela ne nous donne-t-il pas le devoir ou plutôt la chance d’élargir nos capacités d’amour et d’attention envers « nos anciens », et de voir quels cadeaux ils sont encore plutôt que des charges ou des images effrayantes de ce qui nous attend tous ?

Anne